Opinions et actes 10

    Cette revue, fondée en 1941 par le Cabinet du Maréchal et sous le patronage de celui-ci, qui donna une déclaration pour le premier numéro, était un organe du Gouvernement. Entièrement payée par le Cabinet du Maréchal, elle fut imprimée à Paris. La rédaction en fut suivie de près par le Cabinet du Maréchal et mon rôle de Directeur, pour lequel aucun salaire ne m’était versé, fut d’assurer cette liaison. En effet à partir de l’été 1942 toute la partie rédaction, impression, distribution, financement, et les rapports avec la Censure Allemande, furent assurés par le Service des Sociétés Secrètes et personnellement par M. J. de Boistel.

    Dans l’esprit du Maréchal cette publication avait un triple objet: faire comprendre aux Français, par des exemples et des exposés doctrinaux, le tort moral et politique causé aux pays par l’activité des Sociétés Secrètes. S’opposer dans la mesure du possible à la propagande faite par l’Oeuvre et M. Déat pour le compte de l’Ambassade d’Allemagne (afin de rallier autour de celle-ci les éléments maçonniques et maçonnisants et de les dresser contre la politique de Vichy, jugée trop « attentiste »). Réagir contre les S.S. et leur propagande matérialiste, totalitaire, qui en pourchassant la maçonnerie visait à attaquer toutes les forces religieuses et morales de la France.

    Quelque délicate et dangereuse que fût cette mission, je crus de mon devoir de l’accepter. Mes études, mes connaissances et mes convictions me permettaient de la remplir. De plus le Cabinet du Maréchal désirait barrer la candidature de L. qui voulait mettre la main sur l’ensemble des affaires maçonniques et que poussait l’Ambassade d’Allemagne.

    En juin 1942, quand M. Laval et les autorités d’occupation me chassèrent du Grand Orient, je donnai ma démission des Documents Maçonniques. Le Maréchal Pétain refusa. A cette époque M. Déat avait déclenché sa campagne contre le Maréchal et pour le soutien des franc-maçons germanophiles. Il avait engagé contre moi une guerre systématique, me dénonçant à la fois comme persécuteur des maçons, protecteur des Juifs et « américano âne » (voir l’Oeuvre). Il avouait ainsi la gêne que nous lui causions et l’efficacité de la campagne des Documents Maçonniques. L’hostilité systématique de M. Abetz et de M. Achenbach à mon égard rendait plus manifeste cette situation.

    Je m’efforçai donc de continuer la publication des Documents Maçonniques et de les maintenir dans la ligne fixée par le Maréchal Pétain. J’éprouvai des difficultés croissantes. La censure allemande tolérait de plus en plus difficilement les exposés ayant un caractère religieux et s’irritait chaque fois que paraissait le nom de Dieu. Mes collaborateurs et le public, friands d’anecdotes, étaient portés à préférer les articles de caractère personnel, que je voulais éviter. L’évolution des circonstances et la tension des pressions entraînaient certains de nos collaborateurs à rédiger, sous prétexte et à propos de documentation internationale, des chroniques ou articles hostiles à l’Angleterre et à l’Amérique, que je refusais et cherchais à interdire.

    L’animosité personnelle d’un des employés du Service des Sociétés Secrètes, qui était en même temps rédacteur en chef aux Documents Maçonniques, rendit ma situation plus dangereuse et difficile encore. Ancien maçon, puis anti-maçon professionnel, M. Marquez-Rivière avait été chargé d’une mission policière importante en zone nord au Service des Sociétés Secrètes. Il semble être à cette occasion entré en collusion avec la police allemande. Il engagea contre moi une lutte acharnée. Dès 1942 il me fit filer pour le compte des autorités d’occupation (témoignage Fortier-Maire), puis il multiplia contre moi les attaques. Enfin en mai 1944, à un congrès tenu en Rhénanie, il me dénonça comme un ennemi de l’Allemagne et un protecteur de la maçonnerie, un suppôt du cléricalisme et un « américano âne ». A cette occasion j’exigeai son départ des Documents Maçonniques. Et je donnai ma démission. J’y étais d’autant plus porté que malgré mon véto, on avait profité d’une période de maladie et d’absence pour faire paraitre un article sur la franc-maçonnerie américaine que je jugeais inacceptable et contre lequel je protestais.

    Un conflit très vif éclata à ce propos entre moi et les S.S. Ils soutenaient Marquez-Rivière et, comme j’insistais, un triple danger se précisa. M. Poirson était en prison, on parlait de le fusiller ou de l’envoyer dans des mines de sel en Pologne, on me menaçait moi-même d’arrestation immédiate, enfin il était de nouveau question d’emporter toutes les archives maçonniques en Allemagne. Comme je discutais avec eux, essayant de sauvegarder les intérêts de l’Etat tout en me dégageant des Documents Maçonniques, Marquez-Rivière, actuellement émigré en Allemagne, après m’avoir envoyé une lettre d’excuses, réussit à faire publier dans les Documents Maçonniques un autre article sur la maçonnerie américaine qui ne me fut pas soumis, comme du reste aucun des articles de ce numéro, qui parut contre ma volonté. Dès que je l’appris je me rendis chez M. Sens-Olive, le prévenir que ma démission était irrévocable, que j’avais fait un rapport au Maréchal Pétain et qu’il devait en aviser les Allemands.