En fait aucun livre, manuscrit, médaille etc. appartenant à la Bibliothèque Nationale ne fut pris par l’ennemi. Bien mieux, nous obtînmes que les livres disparus au début de l’occupation fussent recherchés et restitués. Pour ceux que l’on ne put retrouver, la somme nécessaire à leur remplacement nous fut versée. Deux manuscrits rares empruntés par le Maréchal Goering furent rapportés par son aide de camp en 1940-41. Nous fîmes établir la règle que nul livre ne serait prêté à un Allemand en-dehors du contrôle et du visa du directeur du « Service de protection des bibliothèques », le Dr Fuchs, qui en août 1944 nous fit rendre tous les ouvrages empruntés par des Allemands, sauf une collection de « l’Univers Israélite » exigée par la Gestapo, et pour laquelle nous avons un reçu. Il nous aida aussi à refuser le prêt du manuscrit original du Don Juan de Mozart, manuscrit inestimable que le Mozarteum de Salzbourg prétendait emprunter, ou acheter. Grâce à nos protestations nous évitâmes d’avoir à détruire ou à livrer aux autorités allemandes les ouvrages interdits par elles et désignés par la liste Otto, et la liste complémentaire édictée ultérieurement. Je gardai même le droit de les communiquer aux lecteurs français sous ma responsabilité et sans aucun contrôle allemand.
Il me fut possible en même temps de sauver un certain nombre de collections privées, qui étaient alors menacées: 2 collections très précieuses de la fin du 18e siècle, en particulier la collection Simiane appartenant à Mme la Marquise de Damas, papiers Montmorency-Luxembourg appartenant à M. P. Filleul (dont la propriété était occupée par une école de tanks), collection des archives Foch confiées à la Bibliothèque Nationale en 1940, archives R. Poincaré achetées en 1943, bibliothèque H. de Rotschild discrètement dissimulée à Paris et à Castelnau, collection Seymour de Ricci donnée à la Bibliothèque Nationale, enfin la collection de romantiques allemands donnés à la Bibliothèque Nationale par M. Fürstemberg et sa collection privée. Les Allemands recherchaient l’une et l’autre comme biens de l’Etat Allemand, M. Fürstemberg étant un juif allemand réfugié en France. Les romantiques furent cachés dans des collections de la Bibliothèque Nationale, son catalogue, imprimé mais heureusement non distribué, que nous réclamait M. Fuchs, fut enfoui dans ma cave. Quant à l’ensemble de la collection il fut, durant la plus grande partie de la guerre, à Castelnau mêlé à nos fonds, puis transféré par nos soins dans les coffres d’une banque privée. Ainsi tout fut sauvé d’une confiscation certaine et décidée.
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