Opinions et Actes 12

 

     Je ne pouvais ignorer le mouvement qui entraînait la jeunesse, puis la masse des Français patriotes, vers la Résistance. Lié par mon serment au Maréchal Pétain, je m’efforçai de concilier ces deux devoirs. Sans rompre mes relations avec le Maréchal, dont la protection m’était indispensable pour obtenir les crédits nécessaires au relèvement d’une grande maison, trop longtemps réduite à la portion congrue, je pris contact avec les services du Général de Gaulle à Paris, par l’intermédiaire du Comte François de La Noë et de M. Béjin. De septembre 1943 à août 1944 je fis ainsi un travail d’information et de liaison, qui prit un caractère plus régulier durant les premiers mois de 1944. Par ce canal je réussis à faire parvenir à l’Etat-Major du Général de Gaulle la liste des Dépôts des grandes Bibliothèques et des Musées de France, que M. Laval ne voulait pas transmettre par la voie diplomatique. Ainsi, dans le débarquement et la campagne de France, il fut possible aux Alliés de ménager et préserver ces dépôts, qui furent tous sauvés.

      Ces services donnés et acceptés de bon cœur me faisaient penser que mon rôle et mon attitude avaient été compris et que j’aurais la joie de continuer à servir activement et librement la France, comme je n’ai cessé de le faire depuis plus de trente ans.

     Je me trompais.

     Arrêté le 19 août 1944 sans avoir jamais été interrogé, sans savoir quel grief on évoque contre moi, insulté, dénoncé dans les journaux sans pouvoir ni répondre, ni expliquer, je souffre plus du tort fait en ma personne à mes services, que de la rupture même de ma vie. Je demande avant tout que des griefs d’ordre privé, des animosités politiques et des interprétations passionnées, ne servent pas de prétexte pour briser une œuvre utile au pays, jeter le trouble dans des équipes précieuses pour notre rayonnement intellectuel, et décourager des énergies.

     Je demande à être entendu de mes chefs et à être mis à même, par la liberté temporaire, de préparer pour eux le rapport précis et documenté que je ne saurais mettre au net en ce lieu.

 

 

               Bernard Faÿ

                         Administrateur Général de la Bibliothèque Nationale

                                                                                                                              Juin 1940 -  Août 1944

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